La gourmandise au musée, article publié dans le journal Le Monde du 9 septembre 2007
Longtemps les musées se sont contentés de gérer la présentation de leurs collections, sans se soucier de la fringale de leurs visiteurs. La culture étant réputée suffire à motiver le tourisme urbain, on oubliait qu’au théâtre, Jean Vilar, Jean-Louis Barrault et Ariane Mnouchkine avaient su concilier les nourritures de l’esprit et celles du corps. Seul le Totem, restaurant au rez-de-chaussée du Musée de l’homme, était couru aux beaux jours, plus d’ailleurs pour la vue sur le Champ de Mars, que pour la cuisine.
A partir des années 1980, les grandes réalisations de l’Etat (le Musée d’Orsay, la Cité des sciences et de l’industrie, le Grand Louvre) ont vu peu à peu leurs programmes intégrer des cafétérias, des espaces de petite restauration et parfois même des restaurants à part entière, placés sous l’autorité de cuisiniers réputés, selon le modèle anglo-saxon. Au Musée Guggenheim de Bilbao, c’est le chef basque Martin Berasategui (trois étoiles Michelin) qui supervise la restauration, tandis qu’à New York, au Musée d’art moderne (MoMA), le restaurant The Modern a obtenu sa première étoile avec l’Alsacien Gabriel Kreuther.
En France, on a cessé de considérer que culture et commerce étaient incompatibles. La nouvelle législation favorisant le partenariat public-privé, au-delà des régies ou concessions parfois routinières, a été adoptée en 2003. Et plusieurs musées ont vu leur statut s’ouvrir à l’activité commerciale à la suite du Musée du Louvre et de la Cité des sciences et de l’industrie, qui avaient anticipé le mouvement, ou bien du Centre Pompidou, qui fut l’un des premiers à se doter d’un espace de restauration.
Les musées, de plus en plus, confient à des sociétés privées le soin de créer les services répondant à un cahier des charges et perçoivent, en contrepartie, une redevance calculée sur le chiffre d’affaires. Les concessions ainsi accordées durent de cinq à dix-huit ans, voire plus.
Le leader incontesté de la restauration concédée est le groupe Elior, très présent dans les musées parisiens (Orsay, Le Louvre, Quai Branly) et dans quelques établissements de prestige comme le Jules-Verne, au deuxième étage de la tour Eiffel (étoilé Michelin), la Maison de l’Amérique latine ou bien le Ciel de Paris (tour Montparnasse). Louis Grondard, ancien chef (deux étoiles) du Jules-Verne et de Drouant, assure la coordination de la cuisine au sein du groupe.
Au Louvre, les Parisiens se sont d’abord entichés du très romantique Café Marly, au logo rouge, cobalt et or, et de ses plats minimalistes, impeccables et vite servis. C’est une cuisine classique dans l’univers Costes : salade de haricots verts, tartare poêlé, cabillaud vapeur garni de purée, pâtisseries de chez Secco.
Elior exploite aussi une dizaine de restaurants différents dans le plus vaste musée du monde, dont le fleuron, Le Grand Louvre, situé sous la pyramide, est dirigé par le chef Yves Pinard, passionné de peinture qui, le dimanche, prépare un « ambigu » – l’ancêtre du brunch. Gros succès. Café Mollien, Café Denon, Café Richelieu, espaces de restauration rapide sur la mezzanine, les 7 millions de visiteurs du musée disposent d’une offre multiforme. « C’est de la diversité que naît l’enrichissement mutuel d’Elior », estime Robert Zolade, son président.
Au Centre Pompidou, chez Georges (SNC Costes), on vise moins la restauration de masse qu’une certaine élite branchée, pour une somme qui dépasse 80 euros en moyenne, le soir. Carte élégante, faite de peu, quelques produits frais, des légumes spartiates. Un beau verre de bon vin, beaucoup de clients buvant de l’eau ou du thé, un service souple de serveurs jeunes et de jeunes filles, élégantes lianes. C’est le système Costes, qui est aussi devenu un modèle.
Oublions pour le moment le Zyriab (restaurant de l’Institut du monde arabe), qui fut longtemps une concession Sodexho, le très branché Tokyo Eat (Palais de Tokyo), et réservons notre coup de coeur au Transversal, créé récemment par le Mac/Val (entendez Musée d’art contemporain du Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine) – petit bijou d’architecture moderne -, qui s’est attaché la collaboration de deux jeunes chefs, Inaki Aizpitarte et Laurent Chareau, ainsi que les conseils de Gilles Stassart, spécialiste des actions art-cuisine.
La démarche de cette joyeuse équipe, dirigée par Benjamin Pelletier, est novatrice, avec son plat de néobistrot (12 euros), ses mini « installations » de légumes bruts, charcuterie, fromages et desserts ou son plat destiné à honorer un artiste : ainsi le « Mono Lapin » inspiré par Jacques Monory, au menu pendant la durée de son exposition au printemps 2005. Au Transversal, l’art passe à la casserole.
Jean-Claude Ribaut
(Article paru dans l’édition du 07.09.06.)