L’exposition met en lumière des élèves féminines du peintre alsacien Jean-Jacques Henner. Si l’on connaît la production picturale de l’artiste par le biais du musée qui lui est dédié, on sait moins qu’il a aussi été professeur. C’est sur cet aspect de sa carrière un peu ignoré que se concentre l’exposition « Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner », dédiée aux femmes artistes qui ont suivi son enseignement.
Dans le dernier quart du XIXe siècle, le contexte est encore peu favorable à la formation des femmes. L’école des Beaux-Arts ne leur ouvrira ses portes qu’en 1897 et celles qui se rêvent artistes n’ont d’autre choix en attendant que celui de se tourner vers des ateliers privés. Ces ateliers ouverts aux femmes, répondant à une véritable demande, se développent alors en nombre dans la capitale… Jean-Jacques Henner est ainsi sollicité en 1874 par le peintre Carolus-Duran qui vient d’ouvrir un « atelier des dames » afin de venir y dispenser son enseignement. Il acceptera l’invitation et participera à cette aventure jusqu’en 1889, travaillant en alternance avec son camarade. Sa formation à l’Ecole des Beaux-Arts, sa réussite au concours du prix de Rome et sa promotion au grade de chevalier de la Légion d’honneur, sont autant d’éléments qui participeront à attirer les élèves. Des femmes françaises ou étrangères désirant apprendre la peinture, bénéficieront, grâce à ces deux professeurs, d’un enseignement sérieux, consistant en des séances de correction de leurs propres travaux. Les deux hommes, particulièrement virtuoses dans la peinture de portrait, permettront aux élèves de de se spécialiser dans ce genre plus susceptible de leur assurer des commandes lucratives, tout en leur offrant la possibilité de travailler d’après des modèles vivants vêtues (la nudité étant encore proscrite dans la plupart des ateliers accueillant des élèves féminines à cette époque). En parallèle de ces cours collectifs, Henner donnera également des leçons dans son atelier personnel, situé Place Pigalle, qui permettront à certaines de ses élèves de jouir de conseils plus personnalisés.
Ce sont plus de 150 élèves, recensées à ce jour, qui ont pu être accompagnées par le peintre, sous diverses modalités, durant sa période d’enseignement. Professeur attentif, il n’hésitera pas à échanger par lettres avec quelques-unes, à effectuer lui-même des rectifications sur leurs toiles ou à les encourager à aiguiser leur œil par le biais de l’exercice de la copie des maîtres du passé (au Louvre, notamment). Son enseignement sera également l’occasion pour lui de partager sa conception de l’art, au moyen d’échanges portant sur la dimension plus intellectuelle de son métier.
Grâce à un choix d’œuvres judicieux, l’exposition conduit le visiteur à se familiariser avec l’apprentissage de ces femmes artistes. Une mise en regard de leurs tableaux avec ceux de leur maître rend parfois évidente la filiation. Les amateurs du peintre y retrouveront certaines de ses thématiques ou figures de prédilection, telles que la Madeleine Pénitente ou les femmes aux abondantes chevelures rousses. L’accrochage favorise immanquablement l’exercice de comparaison, et l’on s’attarde, par exemple, sur des représentations de nymphes qui ressemblent à s’y méprendre à celles du peintre… Au-delà du simple copier-coller, certains tableaux constituent ainsi de véritables hommages à l’œuvre de l’influent professeur.
A travers des toiles qui révèlent le talent d’artistes singulières, l’exposition nous invite à nous attarder plus particulièrement sur le travail d’élèves qui sortirent du lot et obtinrent même parfois des distinctions et des récompenses. Louise Abbéma, Madeleine Smith ou Ottilie W. Roederstein comptent parmi celles-ci. Certaines d’entre elles, comme l’italienne Juana Romani, commencèrent en tant que modèles avant de se former au contact du maître.
Le musée propose ainsi un riche parcours, constitué de plus de 80 peintures, dessins, lettres et photographies : l’occasion de découvrir ces destins de femmes tombées dans l’oubli. Au fil des 7 sections qui composent l’exposition, « Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner » nous donne la possibilité de redécouvrir le succès et les réussites de certaines d’entre elles, de prendre conscience des liens et de l’entraide qui les unir parfois, tout en soulignant les difficultés liées à leur condition féminine et au contexte historique dans lequel elles évoluèrent… Fruit de trois années d’enquête, cette exposition révèle une facette moins connue de Henner, celle d’un professeur qui soutient et encourage ses élèves, participant ainsi à leur progressive émancipation.
Inès B., mars 2025
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